Une intégration progressive de l’Afrique sera le socle du développement du continent,
Article publié par Romano Prodi dans Le Monde du 19 mai 2010
Cette année, vingt-trois pays africains fêtent le cinquantenaire de leur indépendance. De nombreux espoirs nés à la fin de la colonisation n’ont toutefois pas pu devenir réalité. Du point de vue politique, économique et humain, les responsabilités de cet échec en matière de développement sont complexes, et elles ont fait l’objet de vives discussions. Néanmoins, ce qui importe, c’est qu’elles soient partagées de façon équitable entre les responsables politiques africains et ceux des pays industrialisés qui, trop souvent, ont agi en poursuivant des intérêts de court terme et qui, de ce fait, ont échoué à construire les bases d’un développement stable et durable.
Toutefois, il est juste de rappeler qu’au cours des dix dernières années on a créé des mécanismes qui ont permis d’obtenir des résultats importants, en contribuant à la diminution des conflits armés et même à une croissance économique soutenue dans certaines zones – encore peu nombreuses – de cette région.
Même si la guerre n’a pas été extirpée du continent africain et bien qu’elle reste encore l’une des principales causes d’instabilité politique et économique, le partenariat entre l’Union africaine (UA) et les Nations unies a contribué à la stabilisation de différentes régions africaines tout en montrant aussi les nécessités de renforcer le rôle de l’UA et les moyens à sa disposition, encore trop insuffisants pour pouvoir répondre aux attentes. Il s’agit d’une stratégie complexe, qui requiert du temps, mais il est nécessaire de la préparer et de la poursuivre.
Ma récente expérience de président du groupe d’experts des Nations unies et de l’Union africaine sur les opérations de maintien de la paix en Afrique m’a amené à des conclusions qui débordent du seul cadre de notre mission. Il est clair, désormais, que l’on ne pourra obtenir davantage de paix, de développement et de prospérité qu’en surmontant la fragmentation politique et économique du continent africain.
Si importants et indéniables que puissent être les progrès accomplis jusqu’ici, il est essentiel de les étendre à d’autres domaines de collaboration entre les différents pays africains. Une plus grande intégration politique et économique est une avancée nécessaire. Elle n’est pas le remède absolu aux maux qui affligent l’Afrique, mais de nombreuses questions, de nature régionale ou continentale, ne trouveront de solution qu’à un échelon supérieur à l’échelon national.
RÉFÉRENCE SYMBOLIQUE
L’histoire de l’Europe, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, montre combien l’intégration dans ces domaines peut produire des bénéfices pour tous les pays et pour leurs populations, sans mettre en discussion les intérêts légitimes et les identités nationales des communautés impliquées. La récente réponse à la crise financière grecque, par la coopération de nombreux Etats européens, n’est que la dernière illustration d’un processus dont tout le Vieux Continent a tiré des bénéfices sans précédents, même si ce fut parfois au prix de compromis difficiles.
L’exemple européen, pour d’évidentes raisons historiques, politiques et économiques, ne peut pas et ne doit pas être érigé en modèle pour une intégration future de l’Afrique. Il y a trop de différences entre les deux continents ; trop de différences entre les populations respectives. Néanmoins, il représente une référence historique, et même symbolique, qui peut inspirer de nouveaux projets de coopération entre les Etats et les économies africaines.
C’est pour cette raison que la Fondation pour la collaboration entre les peuples, que je préside, organise le 21 mai à Bologne une conférence dans le but de stimuler le débat sur ce sujet. L’objectif final est de proposer une feuille de route visant à promouvoir le développement et la paix en Afrique par des phases progressives d’intégration, en prévision de deux autres conférences qui auront lieu à Washington en 2011 et à Addis Abeba en 2012.
Je suis convaincu que seule une plus grande coopération entre les pays africains permettra de résoudre bon nombre des problèmes qui touchent le continent. Un objectif qui ne pourra être atteint, soulignons-le, qu’en supprimant les “zones d’influence” économiques et politiques bilatérales qui caractérisent encore la présence des pays développés en Afrique.
Il est grand temps que l’Union africaine, l’Union européenne, les Etats-Unis et la Chine se donnent rendez-vous pour inaugurer une vraie orientation commune à l’égard de ce continent, en dépassant les approches uniquement bilatérales qui ont contribué négativement au développement de l’Afrique. Ce qui doit nous guider à l’avenir, c’est la mise en place progressive d’un processus de coopération. Cela exige, de la part des grands protagonistes de l’économie et de la politique mondiale, une action concertée.
Romano Prodi est président de la Fondation pour la collaboration entre les peuples, et l’ancien président de la Commission européenne (1999-2004).